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    L’album “Open to Love” de Paul Bley, sorti en 1972, est un chef-d’œuvre qui scintille au firmament de la scène jazzistique, un trésor musical précieux niché dans le cœur du label ECM. Le piano solo, froid et cristallin de Paul Bley présente un délicat assemblage de notes assorti de silences et d’harmonies délicates. L’album est un témoignage éloquent de la symbiose entre l’artiste et le label, une alliance qui a sculpté un jalon marquant dans le paysage musical.

     

    Une ambiance musicale nordique

    Bien qu’américain, Paul Bley nous propose une musique à l’accent ascétique tout à fait nordique dans son esthétique. « Open to Love » est un voyage introspectif dans les profondeurs silencieuses de l’âme humaine, une ode au piano qui révèle des trésors d’émotions cachées. Les sept morceaux solos qui composent cet album sont une quête d’harmonie, nous avançons tels un équilibriste, de note en note, dans ces longues compositions aux accents improvisés. Ces pièces sont des reflets de l’intimité fragile de l’âme, des échos de la solitude et des murmures de la passion qui résonnent à travers le temps et l’espace. Des échos de mélodies ou de motifs connus parsèment les morceaux, comme autant d’hommages à la musique de son temps.

    Les compositions sont de Carla Bley ou Annette Peacock. Elles enrichissent l’album d’une texture émotionnelle particulière, tissant un lien intrinsèque entre le cœur de l’artiste et les touches du piano au point que l’on a l’impressions d’assister à l’émergence d’une musique improvisée alors qu’il n’en est rien, c’es tout le talent de Paul Bley qui est résumé ici. Les mélodies et l’harmonie des accords créent une ambiance qui invite à la réflexion, à la méditation, un sanctuaire de paix dans le tumulte du monde extérieur.

    La nature introspective de cet album, avec son exploration fine des harmonies contemporaines, toujours à la limite de la dissonance, a été reconnue comme une pierre angulaire influente dans l’histoire du piano jazz. La musique flirte constamment avec l’atonalité, tout en restant organisée et mélodique, jamais ne propose ne se perd en bavardages inutiles.

    « L’album est plus qu’un simple ensemble de morceaux; c’est une expérience qui transcende le commun, un voyage dans les territoires inexplorés de l’âme humaine. Les auditeurs sont invités à se perdre dans les méandres des émotions, à se laisser emporter par la marée de la mélodie et à se retrouver dans le reflet silencieux de l’harmonie. « Open to Love » est un testament de la puissance de la musique, une preuve de la beauté qui réside dans la simplicité et l’honnêteté de l’expression artistique. » selon Wikipedia et le label ECM Records.

     

    Un album parmi les premiers produits par le label ECM

    L’année 1972 marque la naissance d' »Open to Love », un album qui se dessine comme une étoile brillante dans la constellation musicale de l’époque. C’était une période où la musique jazz était en pleine effervescence, explorant de nouveaux horizons et brisant les barrières traditionnelles. L’album est un témoin de cette époque effervescente, une illustration de la manière dont les artistes cherchaient à repousser les limites de l’expression musicale. C’est de cette manière, dans l’expérimentation perpétuelle que le jazz est passé de l’ère classique à l’ère contemporaine. L’album de Paul Bley est une belle illustration de cette transition en train de se faire.

    Manfred Eicher, directeur du label, décrit cet album comme un recueil de chansons lentes « avec des gouttes de pluie dans la main droite ». C’est une expression parfaite pour décrire « Open to Love » et la vision qu’il a pour la musique que doit produire son label. Autant il marque une véritable étape esthétique dans l’histoire du jazz, autant il représente un moment charnière dans l’évolution du label, définissant une direction qui continue à l’influencer aujourd’hui.

    La simplicité et la pureté de l’album contrastent avec l’effervescence du monde musical de l’époque. Nous sommes au beau milieu des années 70 et la disco, la folk ou encore le rock saturent l’espace musical avec des rythmes de plus en plus étrennés. L’album de Paul Bley offre donc une alternative réfléchie et contemplative aux tendances plus exubérantes. La tendresse des mélodies, la profondeur de l’expression et l’authenticité de la musicalité sont des éléments qui ont contribué à fonder la notoriété de cet album.

    Le caractère iconoclaste et ascétique de cette musique lui permet de traverser les époques jusqu’à nous sont prendre un ride. Quand il n’y a pas d’éléments de comparaison possibles avec une époque ou un genre, un objet musical devient intemporel. La fraicheur qui se dégage de l’écoute est même par moment déroutante.

     

    Enregistrement norvégien

    Le 11 septembre 1972, dans le studio Arne Bendiksen à Oslo, une magie silencieuse a pris forme sous la direction technique de Jan Erik Kongshaug, ingénieur du son, et la vision de Manfred Eicher, producteur.

    Dans le studio, le silence se fait, Paul Bley, seul, s’approche du piano, s’assied et déroule son interprétation avec le naturel qui le caractérise, la magie opère. La fluidité des enchainements et la lumière qui se dégage de sa musique laisse même penser que l’album aurait pu être enregistré en direct, d’une seule traite, en forme de récital public. Un autre album, Facing You de Keith Jarrett, enregistré l’année précédente, fait écho à l’esthétique de ce nouvel opus. Aucun élément historique ne peut nous indiquer si les deux albums ont été enregistrés en direct et, selon la méthodologie de l’époque cela semble peu probable, mais nous ne pouvons pas nous empêcher de l’imaginer, comme si nous étions en train d’écouter un pianiste jouant dans notre propre salon. Bill Evans jouait, de la même manière, en direct lors de son anniversaire, dans son salon et pour ses amis plusieurs morceaux que l’on peut trouver sur un disque accompagnant le livre « The big Love ».

    La production de Manfred Eicher a ajouté une dimension supplémentaire à l’album, sa compréhension profonde de la musique et sa vision artistique ont guidé l’enregistrement. Il avait le talent de créer une ambiance et des conditions propices afin de laisser les artistes s’exprimer librement. Lui-même contrebassiste, sa compréhension intime de la musique et des besoins des musiciens lui a permis d’établir une relation privilégiée avec nombre d’entre eux. À l’écoute de cet album, nous pouvons acquérir la certitude que le magnétisme de Manfred Eicher a opéré avec Paul Bley.

    Il faut aussi considérer que le fait de voyager jusqu’à Oslo, de s’imprégner de l’ambiance nordique, de se séparer de soi-même, de ses habitudes, de quitter les États-Unis pour aller enregistrer outre Atlantique sont des facteurs de choix pour obtenir cette ambiance musicale si singulière. Ce sont tous ces aspects, jusqu’au design visuel de l’album, travailler selon des règles toutes contemporaines qui constituent le style Eicher. Au point qu’un même artiste, enregistré pendant la même période de création sur ECM et sur d’autres labels ne sonnera pas de la même manière, ne produira pas le même propos artistique. Bien que d’autres labels comme Verve proposent un esthétique, comme les artistes produits par Rudy Van Gelder, rien ne ressemble véritablement à ECM.

     

    Paul Bley, une carrière et une relation étroite avec Carla Bley

    Paul Bley est un pianiste canadien, né en 1932 à Montréal. L’essentiel de sa carrière se déroule aux États-Unis. Il a régulièrement collaborations avec des étoiles comme Gary Peacock, John Surman, et Bill Frisell. Sa relation avec Carla Bley était à la fois personnelle et professionnelle, une danse délicate entre l’amour et la musique qui a culminé dans des collaborations musicales avant leur divorce en 1967.

    La décision de Carla de conserver le nom de Bley post-divorce souligne l’empreinte indélébile de leur relation sur leurs vies. Elle continue d’utiliser le nom de Bley, un témoignage de l’impact durable de leur relation. La musique était le lien qui les unissait, une passion partagée qui a trouvé une expression à travers leurs collaborations. Il faut aussi souligner que l’album Open to love a été composé par Carla Bley 5 années après leur divorce, manière d’illustrer à quel point leurs liens sont restés forts.

     

    Dans le murmure des touches de piano d' »Open to Love », réside une invitation silencieuse à s’immerger dans un monde où la musique transcende les mots. Paul Bley, avec une finesse émouvante, nous convie à un périple mélodique, un dialogue entre le cœur de l’artiste et l’âme de l’auditeur. Cet album n’est pas simplement une suite de compositions, c’est une narrative émotionnelle, une réflexion sonore sur l’existence et l’expression.

    La collaboration artistique avec Manfred Eicher, a façonné un univers où chaque note porte une signification, où chaque silence évoque une émotion. C’est un monde où la musique n’est pas que mélodie, mais résonance (à la manière du travail d’Arvo Pärt sur les tintinnabules où les fins de phrases raisonnent à l’infini); non pas simplement harmonie, mais exploration. En posant l’oreille sur les pistes d' »Open to Love », ce n’est pas seulement l’écho du piano que l’on entend, mais le reflet d’une époque, l’essence d’un label et l’aspiration d’un artiste.

    La réverbération de la dernière note d' »Open to Love » n’est pas une fin, mais un commencement. Elle nous laisse sur le seuil d’un monde musical à explorer, avec l’esprit éveillé et le cœur résonnant des mélodies éternelles de Paul Bley. En acceptant l’invitation silencieuse de cet album, on se trouve sur un rivage où la mer de la musique s’étend infinie et accueillante, prête à nous emporter dans ses profondeurs mystérieuses et réconfortantes.

     

    Simon JANVIER

    J'aime la musique, toutes les musiques. Je profite donc de mes interventions sur ce blog pour partager avec vous l'histoire de titres qui m'ont marqué. Mes critères de choix sont l'émotion, la singularité ou les conditions particulières de l'enregistrement.
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